Hier soir a eu lieu le premier débat électoral présidentiel aux États-Unis pour les élections de 2020. Il opposait Joe Biden à Donald Trump. Le contexte était marqué par les piètres performances de Trump dans les sondages (systématiquement derrière Biden avec une moyenne de 7 points de différence). Ce débat était l'occasion attendue par Trump pour corriger le tir. Et pour ne pas arranger sa situation, les sondages post débat donnent Biden gagnant et semblent s’aligner sur les sondages d'intention de vote. Il n'y a rien de surprenant.
Certains diraient que Biden n'a pas gagné, qu'il s'est contenté de ne pas être le moins pire des deux débateurs ou encore qu'il aurait pu faire mieux. C'est ce que soutient par exemple une journaliste de chez la Dame grise. Biden fut en réalité le moins pire dans un débat où Trump n’a pas arrêté de gueuler tout le long (on compte pas moins de 73 interruptions). Il a le mérite d'avoir gardé son calme, tenté de répondre clairement aux questions là où Trump les fuyait et de s'être adressé plusieurs fois directement au peuple américain alors que Trump avait les yeux rivés sur lui comme si c'était lui son électorat.
Je reproche tout de même à Biden la maladresse d'avoir rejeté aussi fermement le Green New Deal, en dépit de son intérêt (d'ailleurs préalablement reconnu, en tant que "cadre d'analyse", par Biden sur son site de campagne).
De plus, ce rejet arrive dans un contexte où la Chine prétend pouvoir (vouloir) atteindre la carboneutralité d'ici 2060, mettant ainsi la barre très haute. Il aurait été préférable de contourner la question (par exemple, en mettant en avant son propre plan sans pour autant clairement affirmer ne pas appuyer le Green New Deal). Au moins, en édulcorant un peu sa position, Biden ne risquerait pas de se mettre à dos le courant écologique du parti démocrate. Heureusement, jusqu'ici, Alexandria Ocasio-Cortez, une des figures de proue de ce courant, ne l'a pas mal pris. Sur Twitter, elle a répondu qu'elle était prête à travailler avec Biden malgré (ou en raison de) ces différences de point de vue et elle a rappelé que de toute façon, de l'autre côté, on a un candidat climatosceptique, ce qui est bien pire que ne pas appuyer le Green New Deal. C'est que j'appelle avoir le sens de la réplique!
Quoi qu'il en soit, Trump reste le plus déprimant dans ce débat. Et son agressivité durant le débat n’a pas réussi à masquer la vacuité du personnage. ”Il n’a pas de plan”, n'a cessé de rappeler Biden. Le mépris pouvait se lire sur son visage. On était nombreux, comme lui, à souhaiter, que Donald "la ferme". "Il n'a pas de plan."
Pourtant, il est un plan (assez tordu) qu'il faut peut-être reconnaitre au personnage et que les médias et les Démocrates n'ont pas mis de temps à démasquer. En effet, Trump n'a pas cessé de discréditer le vote postal. Il s'agit pourtant d'une procédure qui a représenté un quart des bulletins de vote lors des élections de 2016, le traitement de ces bulletins peut certes représenter un défi mais il n'y a pratiquement pas de preuves solides permettant de contester sa fiabilité et, pour couronner le tout, c'est une option qui pourrait être encore plus utilisée lors des prochaines élections (y compris dans les Swing States, cette poignée d'États clés dont l'issue des élections peut dépendre).
Mais, et c'est là que cela devient intéressant, ce qu'on a découvert, c'est que ce sont surtout les Démocrates (en tout cas 69% de ceux qui ont l'intention de voter Biden) qui prévoient recourir au vote postal alors que 87% de ceux qui prévoient voter Trump le feront en personne (contre 47% seulement de ceux qui voteront Biden).
Le scénario qui en découle et que Fareed Zakaria a bien expliqué sur CNN (voir la vidéo plus bas) est digne d'un film: la nuit des élections, les Républicains gagnent les élections (si on se base sur les tendances actuelles), en attendant la prise en compte des bulletins postaux. Mais il s'agit en réalité d'une illusion optique. Car, miracle, lorsque le compte des bulletins postaux est complet, soit plusieurs jours après la nuit du 3 novembre, on découvre que c'est Joe Biden qui remporte les élections! Mais comme Trump a déjà commencé à décrédibiliser le bulletin postal, il sera bien placé à ce moment pour dire qu'on lui a volé les élections. Et toute remise en cause de sa théorie du complot relèvera du complot, c'est le propre de toute bonne théorie du complot. Le cauchemar américain commence à peine.
Dans tous les cas, à moins d'un vote massif des Américains en faveur de Biden, ce qui marquerait la fin du (faux) réalignement politique de 1968 et le début d'un nouveau, l'Amérique divisée et polarisée va devoir affronter ses démons au lendemain d'élections dont les résultats risquent d'être contestés quels qu'ils soient. La polarisation politique risque de continuer. Mais, comme elle va à l'encontre de la logique et du théorème de l'électeur médian, on peut penser qu'elle finira par déboucher sur une Amérique plus unifiée, à gauche ou à droite, pour le meilleur ou pour le pire. En attendant ce jour (peut-être lointain), le cauchemar continue.
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