Le 20 avril dernier, une amie partageait avec nous, sur Facebook, l'expérience des insultes racistes qu'elle venait de vivre à Montréal. Le premier ministre québecois a beau minimiser la réalité du racisme dans la société québecoise, c'est malheureusement le quotidien de la communauté noire au Québec et même au Canada.
Cela peut commencer par l'excès de "gentillesse"et de questions intrusives sur ses "origines", comme si des Québecois noirs, il n'en existait pas (ce qui fait penser à une sorte de "racisme bienveillant"). Et cela peut aller aux agressions physiques en passant par les insultes racistes. Et je ne parle même pas du racisme systémique, celui des institutions, celui du profilage racial, celui qui concerne la personne noire perçue immédiatement par la police comme plus dangereuse que la normale, celui des restrictions absurdes pour les enfants d'immigrants dans le système de santé, celui qu'on trouve dans les écoles, et j'en passe.
Si tous les Blancs ne sont pas racistes (certains sont mêmes anti-racistes et c'est une bonne chose), ce n'est pas une raison pour une personne noire de s'estimer chanceuse. Il n'y a pas de quoi non plus féliciter les "non racistes", car c'est ce qui devrait être la norme, non? Pardonnez-nous, comme dit Kerry James, de ne pas avoir "envie de vous dire merci". Enfin, cela n'efface pas les privilèges que la blanchité confère aux Blancs (même aux anti-racistes) dans les sociétés concernées. Aussi, toutes les institutions et tous les aspects de la vie au Québec, au Canada et dans l'ensemble de l'"Occident blanc" (surtout les pays qui ont une histoire coloniale fondée sur le racisme et l'exploitation de personnes noires), du fait de la blanchité, sont susceptibles d'habiter le racisme.
On aime à penser qu'ici c'est mieux qu'ailleurs (et cet ailleurs, c'est souvent les États-Unis), parce que c'est tellement plus pratique de se comparer à "pire" que soi. Mais voyez-vous, c'est ici au Canada, que j'ai appris le racisme. Je viens d'un pays qui a certes connu historiquement et connait encore ses ravages dans ses interactions avec l'international. Il y a certes la réalité du colorisme et "la question de couleur"en Haiti, mais c'est aussi un pays sans racisme, comme construction sociale et phénomène. Parce que oui, une société non raciste est possible et existe.
Le 20 avril, date à laquelle mon amie rapportait les insultes racistes dont elle venait d'être victime, j'ai ressenti un vif sentiment d'injustice. Mais, je ne sais pas, quand le lendemain, on a annoncé du nouveau dans le procès Chauvin pour le meurtre de George Floyd, j'ai reçu la nouvelle comme une bouffée d'air frais.
En effet, un événement rare, très rare, qui n'arrive que dans 2% des cas, vient de se produire. Je ne sais pas si on devrait fêter cela ou pleurer. Aux États-Unis, un policier Blanc vient d'être reconnu coupable d'un homicide commis dans l'exercice de ses fonctions.
Le 21 avril 2021, Derek Chauvin était reconnu coupable, à l'unanimité par les jurés, de meurtre (pas au premier degré), d'homicide involontaire (avec "négligence coupable") et de violences volontaires ayant entrainé la mort de George Floyd, l'américain noir dont le nom a fait le tour du monde à son décès survenu le 25 mai 2020.
La sentence sera prononcée par le juge dans quelques semaines, c'est alors qu'on saura de combien d'années Derek Chauvin écopera en prison. On parle pour l'instant d'un chiffre autour de 12.5 ans (il faut savoir que le policier a un casier judiciaire vierge, malgré que sa carrière soit entachée de plusieurs fautes graves, parfois signalées mais jamais sanctionnées). Mais des "facteurs aggravants" pourraient être évoqués pour justifier une peine plus longue, qui pourrait aller jusqu'à trente ans ou même quarante ans (la peine maximale) pour la plus grave infraction commise par Derek Chauvin (meurtre au deuxième degré).
Au-delà de ces guerres de mots et de ces considérations d'ordre technique, la nouvelle a été reçue avec joie non seulement aux États-Unis (surtout dans la communauté noire) mais dans le monde entier. Il faut se rappeler que la mort horrible de George Floyd a été l'année dernière à l'origine d'un vaste mouvement international pour dénoncer le racisme et les abus des policiers. Parce que, voyez-vous, ces choses n'arrivent pas qu'aux États-Unis.
Je me félicite d'ailleurs d'avoir surmonté, l'été dernier, ma peur d'attraper la COVID-19 et d'avoir participé à l'un des rassemblements à Québec en hommage à George Floyd. À l'époque, c'était la règle des 8 minutes avec un genou à terre pour rendre hommage à Floyd. Depuis, on parle plus des 9 minutes 29 secondes, exactement, pendant lesquelles Derek Chauvin a appuyé son genou sur le cou de George Floyd, entrainant sa mort. Je ne me rappelle pas si tous les manifestants à mes côtés ont réellement attendu tout ce temps (c'est plus souvent comme ces "minutes de silence" qui ne durent jamais une minute), mais c'était un moment très symbolique que je ne suis pas prêt d'oublier. Plusieurs expertises conduisent à la même conclusion, ce geste a bien été fatal pour le quadragénaire noir, n'en déplaise à la défense du policier qui a tout mis en oeuvre pour récuser la thèse de la mort par asphyxie.
La mort de George Floyd a aussi stimulé les ventes de livres sur le racisme. J'imagine que soudain beaucoup de Blancs ont jugé le sujet digne d'intérêt. C'est une bonne chose, quoi qu'il en soit. Mais je leur donne souvent le même conseil que je donne à mes amis hommes concernant le féminisme et la réalité (sociale et même physiologique) des femmes et des filles: n'attendez pas une tragédie ou d'être personnellement concerné pour vous informer sur des questions aussi importantes que le racisme, le sexisme, le classisme, le capitalisme, l'impérialisme et toutes les autres formes de domination humaine (sur d'autres humains ou même sur la nature).
Malgré la bonne nouvelle à l'issue du procès Chauvin, George Floyd est loin d'avoir trouvé justice (la trouvera-t-il jamais?). Le procès des trois policiers qui accompagnaient Chauvin - Alexander Kueng, Thomas Lane et Tou Thao - débutera en août 2021. Ils seront jugés pour "complicité de meurtre". Mais ce qu'il faudrait surtout, c'est le procès de toute la police américaine (une large enquête fédérale vient d'être ouverte sur la police de Minneapolis) pour ses abus de pouvoir (notamment sur la communauté afro-américaine) et son attachement au "mur bleu du silence". Ou mieux encore, il faudrait tenir le procès de toute la société américaine et de l'État américain pour avoir permis et parce qu'ils continuent de permettre, sinon entretenir, un racisme aussi viscéral. On parlera une autre fois du procès de toutes les sociétés occidentales pour les atrocités commises sur nos ancêtres noirs et les communautés autochtones des Caraibes comme en Amérique du Nord.
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