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Haïti: troisième salve de sanctions canadiennes et promesse de 16.5 millions de dollars

Photo du rédacteur: Stevens AzimaStevens Azima

Le Canada sanctionne l'ex-président Michel Joseph Martelly, un ancien premier ministre sous l'administration Martelly, Laurent Lamothe, et un autre ancien premier ministre sous l'administration de l'ex-président Jovenel Moise, Jean-Henry Céant. Cela vient s'ajouter à une liste de trois parlementaires haïtiens sanctionnés le 19 novembre et fait passer le total de personnes sanctionnées à 9, dans le cadre des efforts annoncés par le Canada pour asphyxier les gangs en Haïti.





Ces noms ont d'abord été rendus publics sur Twitter par Louis Blouin, correspondant parlementaire pour Radio-Canada à Ottawa, avant d'être confirmés par d'autres sources.




Ces sanctions impliquent entre autres un gel des avoirs éventuels que ces personnalités détiennent au Canada.


Ces trois hommes politiques sont sanctionnés pour leur participation présumée au financement des gangs en Haïti. Radio-Canada rapporte ainsi les propos de Mélanie Roy, la ministre canadienne des Affaires étrangères:


"Les personnes sanctionnées profitent directement du travail des gangs et sont associées à un système de corruption." (Mélanie Joly, ministre canadienne des Affaires étrangères)

Même si le gouvernement canadien est peu friand en détails sur les preuves accumulées contre les personnalités sanctionnées, Affaires mondiales Canada justifiait ainsi ces séries de sanctions dans son communiqué du 4 novembre 2022:


"Le Canada a des raisons de croire que ces personnes utilisent leur statut d’ancien ou d’actuel titulaire d’une charge publique pour protéger et permettre les activités illégales de gangs criminels armés, notamment par le blanchiment d’argent et d’autres actes de corruption. Ces gangs et leurs partisans terrorisent les populations vulnérables en Haïti en toute impunité, et précipitent une crise humanitaire en Haïti qui comprend la résurgence du choléra sur l’île. Ils commettent des actes de violence inqualifiables, notamment la violence sexuelle généralisée, à l’encontre des populations touchées et empêchent la prestation de services essentiels. Les sanctions contre ces personnes visent à mettre fin au flux de capitaux et d’armes illicites pour affaiblir et mettre hors d’état de nuire les gangs. Le gouvernement du Canada envisagera l’imposition de nouvelles sanctions contre d’autres personnes et entités, ainsi que d’autres mesures, pour faire pression sur les responsables de la violence et de l’insécurité en Haïti." (Affaires mondiales Canada)

Le cadre légal dans lequel s'appliquent ces sanctions est, toujours selon Affaires mondiales Canada, la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur les Nations Unies.


Mais pour bien comprendre ce qu'impliquent exactement ces sanctions, il faut se référer au Règlement sur les mesures économiques visant Haïti, en vigueur depuis le 3 novembre 2022, et le Règlement d'application de la résolution des Nations Unies sur Haïti, entré en vigueur le 10 novembre 2022.



Cliquez ici pour dérouler la liste des interdictions adressées à toute personne au Canada et à tout Canadien à l'étranger vis-à-vis des personnalités sanctionnées dans le cadre du Règlement sur les mesures économiques visant Haïti

  • effectuer une opération portant sur un bien où qu’il soit, appartenant à une personne dont le nom figure sur la liste ou détenu ou contrôlé par elle ou pour son compte;

  • conclure une transaction liée à une opération interdite décrite ci-dessus ou d’en faciliter la conclusion;

  • fournir des services financiers ou connexes à l’égard de toutes opérations décrite ci-dessus;

  • mettre toutes marchandises où qu’elles soient, à la disposition d’une personne dont le nom figure sur la liste ou une personne agissant pour son compte;

  • fournir des services financiers ou connexes à une personne dont le nom figure sur la liste ou à son benefice

Cliquez ici pour dérouler la liste des mesures prises directement contre les personnalités sanctionnées dans le cadre du Règlement d'application de la résolution des Nations Unies sur Haïti

A ce jour, 8 personnes au total en Haïti ont été sanctionnées par le Canada, d'après le décompte réalisé par le Miami Hérald. Mais le décompte passe à 9 si on inclut un chef de gang également sanctionné. Voici la liste complète, en ordre chronologique:

  • Jimmy Chérizier, alias Barbecue, chef de gang d'abord sanctionné par une résolution des Nations Unies le 21 octobre 2022. Le 14 novembre 2022, le Canada affirmait dans un communiqué avoir intégrée cette résolution dans le droit canadien.

  • Joseph Lambert and Youri Latortue (le premier est le président actuel du Sénat haïtien, le second un ancien président du Sénat; les deux hommes politiques ont été aussi sanctionnés par les États-Unis le même jour, soit le 4 novembre 2022)

  • Hervé Fourcand, Rony Célestin et Gary Bodeau (le premier est un ancien sénateur, le second un sénateur en fonction, le troisième un ancien président de la Chambre des députés, les sanctions ont été annoncées le 19 novembre 2022).

  • Michel Joseph Martelly (président d'Haiti de mai 2011 à février 2016), Laurent Lamothe (premier ministre sous Martelly de début 2012 à fin 2014, un record de longévité), Jean-Henry Céant (premier ministre sous le président Jovenel Moise, de septembre 2018 à mars 2019).

Le Canada vient aussi de s'engager à fournir 16,5 millions de dollars canadiens, "pour aider le pays à faire face à une épidémie de choléra et à lutter contre la corruption et l'impunité", selon ce qu'a rapporté Radio-Canada. Il faut savoir qu'Haïti fait face actuellement à une recrudescence du choléra.


"En début de semaine, les autorités de santé publique haïtienne recensaient 802 cas confirmés de choléra et 161 morts liés à la maladie depuis le mois d’octobre, en plus de 8700 cas suspects. L’OMS estime à 500 000 le nombre de personnes à risque de contracter la maladie." (Radio-Canada)

Les 16,5 millions promis par le Canada se déclinent ainsi:

  • 8 millions pour l'aide humanitaire, principalement via les organismes des Nations Unies

  • 5 millions de dollars sur trois ans pour la lutte contre la corruption et l’impunité

  • 3.5 millions pour renforcer le programme "Accès à la justice et lutte contre l’impunité", piloté par Avocats sans frontières Canada

Je termine en revenant dans le déroulé ci-dessous sur les leçons apprises de la dernière décennie de choléra en Haiti, afin de mettre en perspective ce retour de l'épidémie.


Une décennie de choléra en Haiti: qu'a-t-on appris et sommes-nous prêts pour la suite? (cliquer pour dérouler)

Alors que l'épidémie de choléra, qu'on croyait terminée depuis 3 ans, refait surface en Haïti (notamment dans la région de Port-au-Prince), un article nouvellement paru dans la revue Quarterly Medical Review fait le point sur l'histoire de cette épidémie en Haiti. Hautement meurtrière, elle a touché Haiti dans les années 2010, de sa déclaration en octobre 2010 (9 mois après le séisme de janvier 2010), à son "éradication progressive" entre 2017 et 2019. Il y a plusieurs enseignements à tirer:

  • L'épidémie n'est pas une répercussion retardée du séisme du 12 janvier qui aurait réactivé des souches du pathogène qui existaient déjà dans l'environnement haïtien. Au début, cette théorie prévalait et a contribué à inspirer de fausses pistes et des stratégies de lutte inefficaces contre l'épidémie, mais il a été assez clairement démontré, plus tard, que l'épidémie avait été introduite par les Casques Bleus de la MINUSTAH, même si des facteurs environnementaux au niveau local ont pu accélérer sa propagation.

  • C'est l'une des épidémies les plus meurtrières du monde survenues dans les années 2010. La République dominicaine n'a pas été épargnée. On peut lire dans l'article: "De toutes les vagues épidémiques de choléra en Haïti, celle entre fin 2010 et début 2011 a été de loin la plus meurtrière. Bien que le bilan officiel après six mois ait été de 4470 morts, des enquêtes menées dans diverses zones urbaines et rurales ont montré que le choléra était responsable de la mort d’environ 1 habitant sur 100, tandis que dans certains territoires ruraux dépourvus d’établissements de santé, la maladie a tué 1 habitant sur 20 (5%). Bien que la moitié nord du pays, où ces études ont été menées, ait été plus gravement touchée que la région de Port-au-Prince et le sud d’Haïti, on estime que lors de cette première vague, des dizaines de milliers de personnes sont mortes du choléra. Beaucoup de ces décès ont échappé à la surveillance parce que ces gens ont péri chez eux ou sur le chemin d’un centre de santé. Contrairement aux idées reçues, la République dominicaine n’a pas été épargnée. Au plus fort de l’épidémie dans ce pays touristique en 2011, 20 851 cas et 336 décès ont été signalés. Cependant, comparé aux 340 311 cas et 2869 décès enregistrés en Haïti au cours de la même année (en plus des 179 379 cas et 3 990 décès à la fin de 2010), l’épidémie en République dominicaine est passée presque inaperçue." C'est aussi le genre de détail subtil que le Ministère de la Santé Publique de la République Dominicaine ne prend pas le temps de rappeler lorsqu'il informait le 20 octobre dernier sur son compte Twitter qu'une Haïtienne de 32 ans est responsable du "premier cas importé" de choléra dans le pays. Et comme on le sait, les réseaux sociaux sont très doués pour propager la haine, surtout lorsque l'information communiquée est incomplète ou tendancieuse. Les commentaires acides sous le Tweet sont d'ailleurs éloquents...

  • On apprend aussi que l'ouragan Matthieu en 2016 et la même année la déclaration de Ban Ki-Moon, alors secrétaire général des Nations Unies, pour demander pardon au peuple haitien, ont eu un effet galvanisateur qui a facilité la mobilisation des ressources et un changement radical de stratégie de lutte contre l'épidémie proposé et mené sous le leadership du Ministère de la Santé Publique en Haiti, avec une participation cruciale de la population. C'est en réalité cette nouvelle stratégie qui a permis l'éradication du choléra, soit la stratégie d’intervention nationale basée sur des interventions ciblées sur les zones de cas menées par des équipes mobiles d’intervention rapide. C'est elle qui a permis de freiner les transmissions, contrairement aux approches précédentes qui étaient incohérentes et agissaient surtout sur les effets plutôt qu'à la source.

  • Cet article rappelle donc que l'État haïtien a probablement développé l'expertise nécessaire pour faire face à d'éventuelles nouvelles vagues de choléra. C'est donc lui, selon moi, qui devrait mener la danse si des interventions devaient être conduites, et non la communauté internationale ou les ONG, même si leur aide (et certainement pas les fausses promesses de fonds jamais honorées), sous le leadership haïtien, restera la bienvenue.



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