Beaucoup de familles haïtiennes ont du mal à épargner de l’argent. Il est en effet difficile d’épargner des montants consistants quand on a des besoins plus urgents à satisfaire.
Pourtant, l’épargne reste essentielle pour se prémunir contre les imprévus (maladies, funérailles, etc.) dans un pays où peu de services d’assurance adaptés aux moins riches existent. On parle aussi d'un pays d'exclus du crédit. Un pays de gens contraints par le crédit. Dans un pays où plus d'un haïtien sur deux vit sous le seuil de la pauvreté, l'argent va nécessairement à l'argent pendant que l'eau va à la rivière.
L’épargne est aussi une des voies qui permet aux plus démunis d’espérer améliorer un jour leurs conditions de vie. Avec l’argent épargné, ils pourront par exemple investir dans l’avenir (agrandir leur commerce, acheter un terrain ou une maison, financer les études supérieures des enfants, etc.), plutôt que seulement dans la survie quotidienne.
La participation à une tontine (ou « sòl » en Haïti) reste une solution simple et adaptée, même aux petites bourses. Une variante est le "sabotaj", qui fonctionne sur une base journalière.
Il est intéressant de remarquer que la tontine fonctionne à la fois comme un crédit (sauf pour le dernier bénéficiaire) et une épargne. Mais un grand inconvénient des tontines est le fait que l’argent épargné ne grossit pas (« lajan an pa fè pitit ») alors que l’inflation fait perdre de la valeur à cet argent.
Une gourde aujourd’hui a plus de valeur qu’une gourde demain. Ainsi, contrairement à ce que j’entends répéter parfois, les vrais bénéficiaires d’une tontine sont les premières personnes à empocher le montant mis en commun. En effet, les dernières reçoivent un argent qui a moins de valeur que l’argent initialement épargné dans la tontine.
Plus la durée de la tontine est courte, mieux ce sera pour tout le monde. Une formule qui en tient compte pourrait être d’écourter la durée totale de la tontine, quitte à payer deux personnes à chaque tournée, si on ne veut pas que le montant à verser régulièrement par les participants soit trop élevé. Aussi, avec cette approche, les premiers bénéficiaires auront à supporter moins longtemps le fardeau du remboursement.
Pour les gens vivant en milieu rural, l’épargne en nature dans des animaux d’élevage reste une excellente solution. Contrairement à la tontine, c’est une épargne qui peut générer du surplus, car les animaux peuvent se reproduire.
On peut distinguer deux formes d’épargne en nature dans l’agriculture haïtienne. L’achat de volailles pour l’élevage (poules, dindes, etc.) représente une forme de dépôt à vue, car ces animaux peuvent être facilement et rapidement vendus au besoin.
A l’opposé, une forme d’épargne à terme serait l’achat de petit bétail (chèvre, porc, etc.) ou de gros bétail (âne, bœuf, etc.) pour l’élevage, car il est difficile de les revendre à court terme comme on le ferait pour les volailles.
Nos paysans pratiquent déjà ces formes d’épargne. Mais, même si on n’est pas éleveur, pourvu qu’on soit en milieu rural, on peut toujours passer une entente avec un éleveur pour qu’il prenne soin des animaux.
Cette forme d’épargne pourrait même s’avérer plus « rentable » que de placer de l’argent dans des banques (qui brillent souvent par leur absence en milieu rural) ou dans des caisses populaires. Le principal risque est de voir les animaux frappés d’une maladie mortelle, mais cela demeure assez rare, surtout si l’éleveur prend les précautions qu’il faut.
La thésaurisation, dans le sens d’accumuler de l’argent chez soi, n’est pas une solution! Les coffres secrets artisanaux ne sont pas non plus une solution, selon moi. Non seulement cette forme d’épargne fait perdre de la valeur à l’argent épargné (à cause de l’inflation), au lieu de générer des surplus (aucun retour espéré), ces méthodes sont inefficaces car elles ne sont pas assez contraignantes. Il est trop facile de briser un coffret quand les temps sont durs.
A la place, je propose plutôt ceci : épargner l’argent qu’on aurait dépensé pour acheter le coffre! Plus sérieusement, à la rigueur, on pourrait, à la place du coffre ou du trou creusé pour enterrer l’argent (et oui, ça existe!), ouvrir un compte dans une caisse populaire ou même une banque (quoique, selon moi, en Haïti, la banque devrait être la dernière solution pour épargner compte tenu de la qualité du service, du faible retour sur le montant épargné ainsi que du faible pouvoir de décision des clients, contrairement à la logique démocratique d’une coopérative financière - comme une caisse populaire). Mais il faut reconnaitre aussi que la confiance dans les coopératives en a pris un coup avec le fiasco de la pyramide de Ponzi mise en place en Haïti au début des années 2000, peut-être l'une des plus scandaleuses de tous les temps.
Toutefois, si on fait travailler nos méninges, on pourra sans doute trouver encore plus de solutions, par exemple spécifiques à un aspect du problème : épargne-santé, épargne-éducation, épargne-funérailles, épargne-habitation, etc.
Il s'agit de trouver des solutions inclusives, simples, à la portée de toutes les bourses, pour une épargne spécifique aux aspects que je viens de citer, qui sont souvent des sources d’angoisse pour les ménages les plus vulnérables.
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