À mon arrivée d’Haïti au Québec en 2014, j'ai eu la chance d'être accueilli par des amis québécois. On m'a aidé à découvrir la culture d'ici. Le jeu a joué un grand rôle dans cet apprentissage. Il était toujours très présent lors des soirées. C'était notamment le cas des jeux de société. Il leur suffisait d'un clic sur Google pour retrouver les règles du jeu. Ces amis avaient même accès à des vidéos Youtube traitant de ce type de contenus. On ne pouvait pas en dire autant de moi. Plusieurs fois, je me suis senti gêné d’avoir oublié les règles de certains jeux haïtiens et de ne même pas disposer d’un guide sur le web qui me permettrait de mieux partager cet aspect de ma culture avec mes amis au Québec.
Yoyo, Ralba, Tic tac tic tac boom, Kay….La liste des jeux traditionnels haïtiens est longue et d’une extraordinaire richesse, originalité et diversité. Sur Facebook, il suffit de lancer un appel à commentaires sur les jeux traditionnels haïtiens pour voir défiler une longue liste de jeux, et chaque fois on se surprend à en découvrir de nouveaux, qui semblent sortir de nulle part. Certains jeux sont typiquement haïtiens et n’existent probablement nulle part ailleurs, d’autres sont des variantes de jeux connus (comme les jeux de cartes, de domino, soccer, etc.) que les haïtiens se sont appropriés en les transformant ou en les adaptant à leur réalité.
Depuis 2015, Haïti a intégré la Fédération des jeux et jouets traditionnels caribéens qui se donne pour mandat la valorisation, la récupération, le développement et la promotion des jeux traditionnels et des jouets dans la région des Caraïbes. Mais à date, difficile de trouver même un texte clair sur le web, et encore moins une vidéo, expliquant les règles des jeux haïtiens.
De plus, nombre de ces jeux (jeux d’adresse, jeux de stratégie, etc.) utilisent un support ou un jouet purement traditionnel ou rustique (jeux à même le sol, pierrettes, astragales, etc.) qui rendent ces jeux parfois difficiles à pratiquer et à exporter en dehors de la réalité haïtienne. La création de versions électroniques pour ces jeux pourrait être une solution facilitant leur diffusion et leur préservation.
Ces jeux sont de moins en connus par la nouvelle génération en Haïti alors que les informations sur la culture haïtienne contenue dans ces jeux sont précieuses et valorisées par la société. Il y aurait même une demande pour de tels loisirs. Les difficultés quotidiennes tendent malheureusement à reléguer cette demande au second plan, sinon à l'occulter complètement.
Il existe un forum panaméricain des jeux traditionnels et quelques festivals de jeux traditionnels dans la région où des jeux traditionnels haïtiens sont exposés et expliqués aux participants, mais les premiers concernés (les haïtiens en général) n’ont pas accès à ces initiatives qui ont généralement lieu en dehors du pays.
De même, les descendants de parents haïtiens dans la diaspora (au Québec, aux États-Unis, etc.) tendent à perdre tout contact avec ces jeux. Ils deviennent étrangers à des jeux qui pourtant font aussi partie de la culture haïtienne. Culture qu’ils partagent et qui marquent l’enfance de la plupart des haïtiens ayant grandi en Haïti. Il est grand temps de s'interroger sur la sauvegarde, le partage et la diffusion de cet aspect de notre patrimoine culturel immatériel.
Mais se questionner ne suffira pas. Il faudra faire preuve de créativité, d'ingéniosité et de respect pour trouver des façons originales de commercialiser ces jeux en leur créant de nouveaux marchés sans toutefois leur faire perdre leur essence, sans les dénaturer. Et je crois que la diaspora a un rôle dans ce double défi: comment commodifier les jeux traditionnels haïtiens sans les réifier?
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