Un ami haïtien nous demande chaque matin dans un groupe Whatsapp: "qu’est-ce que vous prenez aujourd’hui?"
Le « manger » est omniprésent dans le discours haïtien et s’habille de nombreux signes et rhétoriques pour occuper les esprits. Malheureusement, trop souvent, les observateurs et chercheurs qui s’intéressent au fait alimentaire haïtien se concentrent uniquement sur la question de l’insécurité alimentaire.
Il est vrai que cette question ne peut être écartée. La sécurité alimentaire reste une préoccupation centrale dans un pays où beaucoup ont de la difficulté à satisfaire ce besoin primaire qui est de manger. Cependant, ce focus occulte parfois les constructions et l’agentivité à l’œuvre dans les cuisines et les pratiques alimentaires en Haiti.
La fatalité alimentaire fait négliger le génie et la riche histoire de l’alimentation en Haïti. Cette fatalité enfle le discours des chercheurs et des médias jusqu’à faire oublier par exemple les rhétoriques identitaires, les résistances des mangeurs et des producteurs haïtiens (résistances, en général, à une insertion dans un système alimentaire global présenté à la fois comme une menace et une opportunité ou à une aide alimentaire à la fois nécessaire et étouffante).
La recherche et la déconstruction/reconstruction des goûts et des préférences à l’œuvre dans le système alimentaire haïtien tendent aussi à être ignorées.
En réalité, il est très réducteur de penser l’alimentation haïtienne seulement sous l’angle de la faim, de l'émaciation et des problèmes nutritionnels. Notre alimentation est beaucoup plus pimentée que cela.
L’alimentation haïtienne est aussi (et surtout) diversité, histoire et métissage. Il est peut-être temps de rediriger l'attention vers ces marques de fabrique avant que, et pour ne pas que, l'impérialisme alimentaire les dissolve dans une mondialisation insipide et à sens unique.
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