Une réponse fréquente, lorsqu’on est déstabilisé.e par un contre-exemple qui vient détruire la règle trop générale à peine formulée, est de dire: « c’est l’exception qui confirme la règle ». Belle échappatoire. Mais je regrette, l’exception ne confirme pas la règle. En tout cas, pas dans ce sens-là.
Il est vrai, par exemple, que l'identification d'une exception présuppose une règle déjà connue. Dans ce sens précis, on peut dire que l'exception confirme l'existence d'une règle ou son application dans d'autres conditions (cela ne nous apprend pas grand-chose, de toute façon).
Autrement, une règle, pour être vraie, n’a pas besoin d’une exception. Elle peut s'en passer.
Ici, une règle est essentiellement un énoncé. Elle peut donc être vraie ou fausse. Simple bivalence logique.
Considérons alors la "règle" qui veut que «l’exception confirme la règle». Pour qu'elle soit vraie, il faut supposer que « toute règle qui n'a pas d'exception est fausse ». Or cette dernière règle, pour être vraie à son tour, doit avoir une exception. Et, malheureusement, une telle exception ne peut pas exister si la règle est vraie. En revanche, sa fausseté ne pose aucun problème. Il faut donc penser qu'elle est fausse.
Bien sûr, on pourrait toujours tenter de s'en tirer en disant que "toute règle qui n'a pas d'exception est fausse, sauf exception". Mais en ajoutant, cette précision, cette règle devient encore plus absolue. Elle n'autorise aucune exception, car elle reconnait déjà l'exception dans son énoncé.
En réalité, ces règles n’ont aucun sens et ne sont pas indispensables. Ces formules expéditives (et tellement répandues) font l'impasse sur les bonnes méthodes permettant d'accéder à la vérité, ou tout au moins de s'en rapprocher. Parce que non seulement l'exception ne confirme pas la règle, la confirmation des règles n'est pas non plus ce qu'il y a de plus important.
Évidemment, on veut des règles qui fonctionnent, mais le fait qu'elles fonctionnent n'est pas un gage de leur qualité. Peut-être qu'il existe un milliard de situations dans lesquelles la règle n'a pas encore été testée et où elle serait prise en défaut.
Par exemple, en science, depuis Karl Popper, on sait qu'il est préférable de rechercher les anomalies qui mettent à mal nos théories. La normalisation des exceptions, véritable endocytose intellectuelle, est une démarche contre-productive. Plutôt que de fermer les yeux sur les exceptions, on voudra de préférence tester des "prédictions risquées" (risky predictions) pour augmenter les chances de dénicher les exceptions. Parce que les exceptions, loin de confirmer les théories, les font plutôt évoluer ou les force à faire place à d'autres théories plus prometteuses.
De toute façon, les "malaises" et les "exceptions" sont appelés à cumuler jusqu'au moment où leur existence n'est plus soutenable. Qu'on le veuille ou non, arrive ce moment fatidique où il faut adopter une autre approche. Pas parce que la précédente était incorrecte ou moins scientifique (Kuhn), mais parce qu'elle ne répond plus aux besoins présents. Parce qu'elle alimente une tension entre la réalité et l'ensemble des explications qui font autorité.
Dès qu’il y a une exception, c’est qu’il est (peut-être) temps d’amender la règle. D'en trouver une qui confirme l'exception.
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