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Comment arrêter de crier après son enfant

Photo du rédacteur: Stevens AzimaStevens Azima

Le magazine Psyche a publié le 6 octobre dernier un guide destiné aux parents, écrit par une spécialiste du développement des enfants, pour aider les parents à arrêter de crier après leurs enfants. Après une petite mise en contexte personnelle, je vous offre un retour sur le contenu de cet article. En invitant les parents à prendre conscience de leurs croyances ancrées, leurs suppositions inavouées, leurs attentes parfois irréalistes vis-à-vis de leurs enfants, Bonnie Harris propose des stratégies pouvant potentiellement conduire à une relation parent-enfant plus saine. C'est non seulement la possibilité d'une telle relation qui est démontrée, mais aussi sa necessité si on veut éduquer efficacement ses enfants.


Contexte: la violence parentale


L'enfer est pavé de témoignages d'amour. En avril 2021, tout mon réseau Facebook s'enflammait. Une campagne au titre controversé et peu conventionnel invitait à "désacraliser les parents". L'accent était surtout mis sur les violences physiques, mais les récits de vie qu'on déterrait à l'occasion rappelaient que la violence des parents était l'une des violences les plus tolérées dans nos sociétés et prenait des formes plurielles, au-delà du fouet traditionnel. Bien entendu, ce qui est remis en question ici ce n'est pas l'amour des parents pour leurs enfants, ô sacrilège (encore que, dans certains cas, une telle remise en question soit tout à fait pertinente). C'est plutôt la nature et les frontières de l'autorité parentale qui sont réexaminées.


Cela pose aussi tout de suite la question du lien entre famille et démocratie: le fonctionnement de la famille -institution non figée, qui ne cesse d'évoluer, de se transformer et de se recomposer au fil du temps- est-il, peut-il être, doit-il être démocratique? Une autre question subséquente est celle de la conséquence de l'éducation familiale sur la bonne marche de la démocratie dans un pays: la famille traditionnelle, en sacrifiant la liberté et l'égalité en son sein, nuit-elle (plus tard) à la démocratie? Ce sont là des questions à la frontière de la psychologie, de l'éducation, de la sociologie et de la politique.


Bonne nouvelle: on observe une augmentation fulgurante du nombre de pays adoptant une loi anti-fessée. Des succès culturels, comme en Suède, d'éradication quasi complète de la fessée comme punition en seulement quelques générations montrent que les coutumes peuvent bouger. Malheureusuement, dans beaucoup de cultures encore, les parents continuent d'avoir un droit de véto sur l'intégrité physique des enfants, surtout à la maison, et à employer de la violence physique, verbale et psychologique contre les enfants. Même un pays comme le Canada a encore beaucoup de progrès à faire (y compris sur le plan légal) en matière de lutte contre le châtiment corporel. Et que dire d'Haiti, où cette violence est générale et consacrée par la culture?



Mais, et j'y arrive, dans cette publication, je souhaite attirer l'attention sur la violence verbale des parents. La relation parent-enfant a ceci de particulier: les enfants n'ont souvent que leur parent et aucune autre ressource ou personne sur qui compter en cas d'abus de pouvoir parental. Et pour les petits garçons et les petites filles, ils ou elles peuvent tout simplement ne pas comprendre ce qui leur arrive. On parle beaucoup moins de la violence verbale des parents, mais elle n'en est pas moins un problème. Crier après son enfant a des conséquences négatives et parfois durables sur sa confiance et son estime de soi, surtout quand cela se produit de façon répétée.


Ce n'est pas toujours méchant de la part du parent. Certains parents ne savent tout simplement pas comment éviter ces crises de colère. Beaucoup de parents se demandent (et c'est déjà une bonne chose), comment développer de meilleures relations avec leurs enfants. Ils trouvent que la relation traditionnelle, verticale, distante et toxique, ne convient plus. Il s'agit alors de ne plus considérer la relation parent-enfant comme une donnée naturelle, automatique, mais plutôt comme quelque chose qu'on construit, nourrit et développe chacun de son côté. Plus qu'une relation (linéaire, hiérarchique), il s'agit d'une interrelation.


Ceci dit, on ne va pas se mentir. Il faut reconnaitre que parfois les enfants adoptent une attitude "tannante". Il n'y a pas de mal à l'avouer. Le souci, c'est plutôt d'oublier que ce ne sont pas eux le problème, mais plutôt leur attiude. Plus problématique encore, c'est de fermer les yeux sur notre rôle et nos responsabilités comme parent dans l'évolution des tensions au sein de la relation avec son enfant. Et l'article de Bonnie Harris dans le magazine Psyche pose de façon brillante ce problème et propose des solutions intéressantes et éprouvées au cours de sa longue carrière de spécialiste du comportement des enfants et de l'éducation parentale.


La réflexivité parentale


L'article s'appuie sur le modèle comportemental "ABC" dû à Albert Ellis, un des fondateurs de la thérapie cognitive. Dans cette construction, nous sommes confrontés à des adversités (événements éprouvants, difficultés, problèmes). Ces problèmes suscitent des réactions d'ordre émotionnel et affectent notre comportement. Mais toute la richesse du modèle, en ce qui nous concerne, se trouve dans ce qu'il place entre ces problèmes que nous confrontons et les réactions émotionnelles qu'ils provoquent chez nous. C'est à ce niveau, dit le modèle, qu'interviennent nos croyances personnelles.


Ce sont les croyances, en quelque sorte, qui donnent à ce qui se passe du contrôle sur notre comportement. Elles modèlent nos attentes vis-à-vis de l'enfant, sans qu'on tienne compte de son stade de développement et de sa propre personnalité. Ces croyances, bien ancrées, parfois héritées de notre propre enfance ou de l'éducation familiale qu'on a reçue, sont farouchement gardées en nous, parfois sans qu'on en ait conscience. Nous y tenons, car elles font désormais partie de notre identité. Elles sont notre histoire. Alors, quand le comportement de notre enfant remet en question ces croyances, cela nous pousse à faire des suppositions précipitées qui suscitent de fortes réactions émotionnelles et nous enferment dans ce que Bonnie Harris appelle une chaine de réactions émotionnelles.


Dans son article, Bonnie Harris, prend l'exemple d'un parent qui a consacré tout un après-midi à son enfant de 5 ans. Ils ont joué au parc, l'enfant a même eu droit à une bonne crème glacée. Seulement, au moment d'aller au lit, l'enfant refuse et dit à son parent: "c'est injuste, tu ne me laisses jamais faire ce que je veux". Bonnie Harris explique qu'il y a de fortes chances qu'à ce moment précis le parent trouve que l'enfant se montre ingrat, puisqu'ils viennent de passer un excellent après-midi ensemble. Il peut aussi prendre la réaction de l'enfant comme une attaque personnelle (supposition fausse) alors que pour l'enfant, tout ce qui importait en ce moment c'était de continuer à jouer et de ne pas aller au lit.


Mais, nous dit Bonnie Harris, de telles conclusions reflètent probablement notre croyance ancrée selon laquelle les enfants devraient être reconnaissants envers leurs parents. Une amie, Sophie Céus, a mené une petite enquête sans prétention auprès de ses contacts haitiens, et devinez quoi? L'une des raisons les plus citées, selon elle, pour justifier le choix d'avoir un enfant (comme si ça avait besoin de justification), est le fait de ne pas laisser son héritage "aux ingrats" (lèzengra en créole), entendez par là ceux et celles qui ne sont pas membres de la famille nucléaire (inconnus, amis, membres de la famille élargie). On comprend que de telles motivations peuvent finir par devenir toxiques, car elles ne laissent pas à nos enfants la possibilité de ne pas se montrer reconnaissants. L'enfant devient une assurance vieillesse et dès l'enfance on s'assure qu'il retienne sa mission sur terre. Bien entendu, dans d'autres sociétés, la réalité peut être différente, selon le degré de dépendance des gens par rapport à leur famille compte tenu des filets sociaux et des politiques sociales (on parle alors de défamilialisation, soit l'allègement des responsabilités familiales, par exemple du fait d'avoir l'option de placer gratuitement son enfant en service de garde).


En voulant protéger nos croyances, nous nous retrouvons à faire des suppositions précipitées sur les raisons qui poussent l'enfant à agir ainsi plutôt que de regarder les faits en face, sous tous les angles. Par exemple, peut-on s'attendre de façon réaliste à ce qu'un enfant de 5 ans, qui à cet âge a une vision du monde plutôt égocentrique (tout tourne autour de lui et de son plaisir), se préoccupe de paraitre reconnaissant quand en ce moment précis tout ce qui lui importe c'est sa frustration du fait de devoir abandonner son jeu pour aller se coucher?


Parfois, la violence verbale du parent nait d'un sentiment d'insécurité qui prend sa source dans ses propres traumatismes d'enfance: des parents qui lui faisaient croire qu'il n'était pas assez bien, qu'il est maladroit, qu'il n'avait pas son mot à dire quand ses parents lui parlaient, etc. Bonnie Harris introduit l'idée d'un bouton (fictif) sur lequel les enfants appuient parfois et qui conduit automatiquement les parents à sortir de leurs gonds. En prenant conscience de nos croyances profondes sur la relation parent-enfant, sur nous-mêmes, nous reprenons le pouvoir laissé à autrui de dicter notre comportement et nos paroles.


C'est en identifiant ces points de rupture et leur cause profonde que nous cassons le cercle de la violence verbale contre les enfants (et la science montre que ces méthodes sont efficaces pour guérir des traumatismes de notre enfance et développer des relations plus saines avec les enfants). Il devient alors possible d'adopter des stratégies pour prendre du recul lorsqu'on sent qu'on va craquer (prendre une pause, demander à l'autre parent de prendre le relais, etc.). Les conflits sont mieux gérés, en se mettant à la place de l'enfant par exemple.


Mais il arrivera aussi qu'on craque, et ce ne sera pas la fin du monde. Prendre du temps ensuite pour réflechir à ce qui vient de se passer. Une autre chose qui est tout à fait indiquée, contrairement à ce qu'on croit en général, c'est de ne pas hésiter à s'excuser auprès de l'enfant. C'est important de l'aider à comprendre que notre réaction n'était pas la bonne. Ça ne veut pas dire que, lui, il avait raison, mais nous évitons par là qu'il prenne notre perte de contrôle comme un modèle de comportement à avoir lorsqu'il est face à un problème.


C'est un chemin sinueux et incertain, celui d'élever un enfant. Une saine relation parent-enfant se construit dans le temps, comme toute autre relation. Vous pouvez consulter directement l'article de Bonnie Harris sur Psyché. Il regorge d'autres conseils pratiques et de ressources pour accompagner les parents vers une meilleure connexion avec les enfants, même les enfants les plus retors. Parce que, comme le répète l'auteur, il ne faut jamais perdre de vue que le fait qu'un enfant ait un problème de comportement ne signifie que c'est lui le problème.



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